Ali l'homme au grand coeur
J’ai participé à la 1ère édition du semi-marathon
de Ghar El Melh. Ayant été absent durant les années suivantes, je voulais
prendre part cette année au départ. J’ai tenu à le faire essentiellement pour
mon ami Ali que je ne connaissais pas il y a une année. Je l’ai croisé lors du
Run In Carthage et lui ai brièvement parlé. Je le connaissais plus, parce qu’il est devenu une Star dans le milieu du running en Tunisie. Il
a parcouru 100 km d’affilée en moins de 10 heures, alors que c’était
sa première participation. Autant dire un exploit! Je connais peu de personnes
qui ont parcouru d’aussi longues distances. Je pense à Moncef Debaieb, le détenteur des records parmi les joggers de Tunisie.
J’ai appris à mieux connaitre le célèbre Ali Ben Amor
lorsque je suis allé à Nice pour mon 2ème marathon. Son hospitalité,
son dévouement et sa joie de vivre sont inégalés. J’ai fait une plus profonde
connaissance avec un homme à principes qui a su se fondre parmi la population
et se faire aimer par les Niçois. Il ne s’est pas contenté de vivre reclus au
sein d’une communauté d’expatriés. Il fait partie des azuréens. Croyez-moi, si
ces derniers avaient senti le moindre comportement inadéquat, il aurait été très vite rejeté. J’ai découvert une capacité exceptionnelle d’intégration. Grâce à
Ali, à ses précieux conseils, à sa disponibilité à me faire découvrir le
parcours, j’ai réalisé la plus belle course de ma vie jusqu’à présent.
Lors de son précédent séjour en Tunisie, je suis allé le
voir dans la région de Ghar El Melh. Alors que la plupart des gens profitent de
leurs quelques jours de vacances pour se promener, se reposer et prendre du bon
temps, notre Ali était enfoui dans un atelier de ferronnerie à concevoir la
joëlette. Il coupait, soudait, assemblait des tubes de fer de différentes
dimensions sous la supervision de son ami d’enfance, le très aimable Ferjani.
Je connais les difficultés par lesquelles est passé Ali pour
que cette manifestation ait lieu et qu’elle se perpétue d’année en année. Il
persiste et signe contre vents et marées. Il est déjà difficile de réaliser
quelque chose en étant sur place. Quelle galère d’essayer à distance alors
qu’on n’a que quelques jours sur place. Un budget limité et une administration
que nous avons tous côtoyé ne facilitent pas la tâche. La seule suggestion que
je pourrais lui faire est de responsabiliser certaines personnes à prendre en
charge certaines tâches. Il ne peut tout faire, tout seul. Par exemple, il
incombera à un individu en particulier de former les volontaires pour baliser
le parcours et assurer un meilleur ravitaillement.
Ali est un battant. Là où d’autres à la suite d’une
situation défavorable abandonnent, il tient bon et réussit ce qu’il fait. Je
pense que son geste pour les personnes en situation d'handicap dénote d’un
homme d’une grande générosité, un homme au grand cœur.
Aussi, connaissant l’homme, Ali, je voulais rendre hommage
au concepteur de la course. Je tenais à prendre part à l’équipe de la joëlette.
Je sentais que je ne pouvais pas tenir tout un parcours en immobilisant une
main ou deux. Je me suis très vite mis dans la tête que je pouvais être un bon
remplaçant. J’ai compris qu’il fallait un groupe de base solide qui a des
performances bien établies. Il a naturellement été constitué par le trio de
grands athlètes que sont Saoud Manel, Rafik Chettaoui et Mohamed Ali Sbai. Dès
les premiers kilomètres, ils ont su mettre la caravane en marche dans les
montées pour établir une bonne vitesse de croisière. Je me suis très vite senti
entraîné par ce flot et a voulu contribué à l’effort. J’ai tendu une main pour
essayer d’équilibrer le navire. Puis j’étais pris dans le sillage, envoûté par la
chanson de Saoud (Oussama, I am crazy loving you) et par les cris de Mohamed Ali qui encourageait
les spectateurs à applaudir Oussama. J’ai
senti que nous étions des rameurs sur un même bateau. Si quelqu’un lâche prise,
le navire se renverse. La somme
d’individus ne fait plus qu’un.
La main tendue de Son Excellence Mr l’ambassadeur d’Inde
Je voudrais rendre hommage à son Excellence Mr l’ambassadeur
d’Inde. Par sa simplicité et son dévouement, il a su prendre une part au sein
du groupe. Je ne le connaissais pas auparavant. Quand je me suis présenté à
lui, il a fait de même en me donnant son prénom. A aucun moment, il nous a fait
savoir sa fonction. Tout au contraire, il n’a hésité à aucun moment à tirer,
pousser ou soulever avec nous la joëlette quand celle-ci est devenue plus
difficile à manier dans le sable.
Je pense que les personnes qui ont quelque chose dans leur
tête n’ont pas besoin de le montrer. Elles sont les plus humbles. Ceci est tout
en leur honneur. J’ai couru pendant plusieurs années avec un autre groupe, en
compagnie de Taieb Ben Othman et de Khalil Errais, le Carthage Hash House
Harriers. D’autres ambassadeurs prenaient part à nos randonnées, en particulier
Mr Doykov, SE l’ambassadeur de Bulgarie et SE Mr Robert Godec, l’ambassadeur
des USA en Tunisie. Ils sont devenus mes amis et m’ont invité à plusieurs
reprises à leurs résidences. Le sport rapproche beaucoup des personnes
d’horizon diverses qui n’ont d’autres intérêts que le plaisir de partager de
bons moments. J’ai pu constater, chez Mr Godec, qu’au-delà des réserves de la
fonction, il y a un être humain au grand cœur. En le fréquentant
personnellement, j’ai connu un homme très sensible et attentionné. Les
apparences sont trompeuses. Il vivait un handicap sur le plan familial plus
important que celui d’Oussama.
Je trouve
que c’est une photo très expressive. Elle dénote la satisfaction d’un travail
bien fait. Mission accomplie. La souffrance du parcours est oubliée. Le V de la
victoire est brandi. Oussama est content, c’est ce qui compte pour nous. Il
lève lui aussi la main. Il fait partie intégrante du groupe. Son rêve a été
réalisé. Il se peut que cette expérience ait été au-delà de son imagination. Il
n’aurait jamais pensé participer à une course à pied parmi les coureurs.
En voyant le geste de Heifa, le regard pointé vers le sol,
j’ai tout de suite pensé à une image qui m’a marqué que j’ai vu dans les livres
d’histoire : celle des JO de Mexico de 1968.
Comment transmettre un message fort à travers la course à pied : Les JO de Mexico 1968
Au niveau de la Tunisie
Les Jeux
Olympiques de Mexico de 1968 sont mémorables pour nous tunisiens. C’est l’année
où Mohamed Gammoudi s’empare de la médaille de bronze sur le 10000 mètres le 17
octobre et rafle la médaille d’or sur le 5000, deux jours plus tard. Quelle
consécration ! Il faudra attendre plusieurs années pour qu’Oussama
Mellouli et plus récemment Habiba Ghribi obtiennent à leur tour le précieux
métal. Si peu de médailles pour un pays. De quoi laisser réfléchir sur notre politique
sportive. Je pense pour ma part, qu’entre autres raisons, les priorités sont accordées
aux sports collectifs et essentiellement à ce cannibale qu’est le football. Ce
n’est qu’un avis personnel.
Le même jour
que la médaille de bronze de notre compatriote, les JO de Mexico ont été
marqués par une image forte qui est devenue un symbole de lutte pour la
liberté. C’est la photo de Tommie Smith et John Carlos avec les poings levés
lors de la cérémonie de remise des médailles du 200 mètres. Ils ont chacun un
gant noir que les Black Panthers, un groupe radical, brandissent en tant que
combat des noirs pour plus de justice sociale et d’intégration dans la société
américaine. Leurs regards se détournent du drapeau américain et feignent de ne pas
entendre l’hymne national de leur pays. Ils dirigent leurs yeux vers leurs
chaussettes noires représentant la misère de leur communauté. Il faut dire que
cette période est marquée par des troubles et notamment par l’assassinat du
révérend Martin Luther King Jr cinq mois plus tôt. Le pacifiste, le tolérant,
le défenseur de la justice a été tué.
Ces deux
athlètes ont pris un risque et ont assumé leur choix. Ils savaient que toutes
les télévisions du monde allaient retransmettre cette image. Celle-ci n’a pas
plu à tout le monde. Ils ont été renvoyés du village olympique. Leur carrière a
été interrompue alors que Tommie Smith venait d’établir le record du monde en
19,83 s. Ils ont reçu des menaces de mort et n’ont pas pu trouver de travail,
même en tant que laveurs de voitures. Maintenant, ils sont célébrés en tant que
héros.
Ce slogan
est utilisé par plusieurs armées du monde. Il signifie un esprit de cohésion
dans le groupe. Il n’y a pas de blessés laissés derrière sur le champ de
bataille. Au lieu de fuir et sauver sa peau, il faut résister pour secourir
ceux qui ne peuvent désormais plus le faire par eux-mêmes. Il en est de même
avec l’esprit de la joëlette. Chacun aura l’opportunité de partager avec nous
le bonheur de participer à une course à pied. Si quelqu’un ne peut courir avec
ses pieds, c’est nous qui le porterons jusqu’à la ligne d’arrivée. Il suffit de
voir la joie sur le visage du petit Oussama pour ressentir qu’on a accompli un
acte utile en ce jour mémorable de la 4ème édition du semi-marathon
de Ghar El Melh. Je ne peux conclure sans cette citation que j’aime beaucoup. « I
cried because I had no shoes until the day I saw the man with no feet». Je pleurais parce que je n’avais pas de chaussures jusqu’au
jour où j’ai vu l’homme qui n’avait pas de pieds.
Enfin, je voudrais remercier nos deux maestro, M. Mohamed Ali Baccouche et Dr. Hamouda Boussen, sans qui la course à pied ne serait pas ce qu'elle est en Tunisie.
Enfin, je voudrais remercier nos deux maestro, M. Mohamed Ali Baccouche et Dr. Hamouda Boussen, sans qui la course à pied ne serait pas ce qu'elle est en Tunisie.
Selim est un homme avec un coeur gros comme ça. Pas étonnant de sa part de nous transmettre ce grand moment d'émotion. Bravo.
RépondreSupprimerexactement!
RépondreSupprimerJoli récit. Bravo Selim et Heifa.
RépondreSupprimerj'ai eu les larmes aux yeux en lisant ce récit encore et encore! Magnifique!
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