28 oct. 2019

L'Ultra Trail Serra Montsant, une resurrection...





Après le trail de La motte Chalancon pour lequel je m’étais préparée toute une année et qui a été une vraie déception pour moi, il y avait un sentiment d’inachevé. Quand Mohamed a proposé de faire un trail de 100 km juste après la reprise des entraînements en août, j’avoue que je n’étais pas très enthousiaste... j’avais trouvé plein d’excuses... un 100 km à une année du prochain... pourquoi ? Préparer un 100 par un 100... Mais bien évidemment la tentation était trop forte, alors j’ai trouvé plein de raisons pour le faire. 
Aujourd’hui, je suis reconnaissante à Mohamed. Reconnaissante parce que ce trail m’a mis en face de toutes mes responsabilités et m’a permis de reprendre confiance. 
Même si on ne fait pas le trail pour le chrono, on a besoin de sentir du progrès, de sentir que tous les efforts qu’on a fait n’ont pas été vains. Après la Motte, quelque chose s’était brisée. J’étais déçue...
L’envie de rebondir a été mon moteur tout au long de cette préparation. Je voulais ressentir le plaisir de la ligne d’arrivée, passer par des hauts et des bas pendant le trail, m’aimer et me détester, me complimenter et me traiter de tous les mots. 
J’ai réussi...j’y suis arrivée, J’ai franchi la ligne d’arrivée après 18h52 vers 3h du matin en me sentant juste sereine par ce que je l’ai fini dignement. Sereine parce que j’étais redevenue moi. 

Sans rentrer dans les détails, les conditions de cette préparation ont été très compliquées et éprouvantes pour la femme et la maman que je suis. Mais j’ai gardé la détermination, la discipline et je l’ai pris comme un challenge de la vie. Il y a eu des jours ou je pleurais intérieurement de fatigue mentale et où je voulais juste dormir et oublier que j’aimais le trail. Mais...voilà, dans la vie il n’y a pas de bouton « pause » et j’aime le trail, j’ai de la chance de pouvoir le pratiquer aussi intensément et d’être entourée par des personnes qui partagent ma passion. Je n’ai pas le droit de tourner le dos à tout cela. J’ai soigné ma nutrition, ma récupération et nous avons changé complètement la structure des entraînements pour nous donner toutes les chances de réussir. 


A quelques jours de la course et de notre départ fixé pour vendredi matin nous (Aymen, Hafedh, Marouane, Mohamed et moi) apprenons que beaucoup de manifestations ont lieu en catalogne et que vendredi sera un jour de grève générale ... nous appréhendons déjà, nous avons peur de ne pas pouvoir arriver à temps pour le trail.

 Le jeudi soir, Tunisair nous informe que le vol prévu pour 9h du matin vendredi, sera retardé à 21h. Il nous faut donc une solution pour partir autrement, sinon nous n’arrivons jamais... 2 avions plus tard, nous atterissons vers 10h du matin à l’aéroport de Barcelone. Nous récupérons la voiture pour aller au village dans lequel se déroulera la course, le trajet est de 1h45. Nous mettrons 4h. Toutes les routes étaient fermées par les manifestants. 

Au final, nous aurons dormi 4h à tout casser, mangé n’importe comment, fait plus d’heures d’avion qu’il n’en fallait...et surtout pas eu le temps de stresser pour la course mais on y est. 
On a donc déjeuné, dormi, préparé nos affaires, récupéré nos dossards, fait quelques courses pour le petit déjeuner et l’après trail, puis diné et dormi vers 22h. La bonne nouvelle est qu’on a dormi comme des bébés étant donné notre état de fatigue. 

Jour de course 

Réveil à 5h30 pour moi, je prends mon petit déjeuner et je suis assez zen, je ne me pose pas de questions. 
Chacun est à son rythme, je ne ressens pas de tension... on a prévu de partir à 7h45. Nous habitons à 15 mn en voiture du lieu de départ, par lequel passera d’ailleurs le trail.
On y est... les coureurs sont là, ambiance de départ mais je pense que chacun est dans sa bulle déjà. 
Marwen, Mohamed et moi nous déposons nos sacs à l’assistance. Ils nous seront remis au 60ème km. Nous passons la vérification du matériel obligatoire. Il fait un peu froid mais le soleil est déjà là. Quelques photos... une chanteuse live... des blagues pour se détendre... top départ 8h42 mn. 

De Cornudella de Montsant à Ulldemollins 20 km et 1022 D+ (Barrière horaire 12h30) 

En faisant les calculs j’avais peur d’être juste pour cette première partie, j’ai donc décidé de me donner comme il faut. J’avoue que c’était une portion assez sympathique du parcours : mes jambes répondent bien, les montées n’étaient pas trop compliquées et il y avait pas mal de monde, étant donné que le départ des 3 courses (57, 85 et 105) étaient donnés en même temps. Nous étions dans les 300 coureurs je pense. Les garçons m’ont très vite distancée. J’arrive au premier ravito après 2h43. J’ai gagné 1h sur mes estimations. Je suis très confiante. Mohamed a 20 mn d’avance environ sur moi. Je remplis mes gourdes, bois et grignote des trucs salés et un peu de banane. Je ressors au bout de 7 mn je pense. Je me sens bien. Je ne pense pas à grand chose jusqu’à là. En fait ce qui me fait le plus peur ce sont les 20 derniers km une montée assez impressionnante et bien évidemment, une descente spectaculaire, enfin 8 km sur lesquels les participants mettent environ 1h30. Ajouté à cela le fait que cette portion se fera dans la nuit... 
Je gérais donc mon temps et mon effort pour ne pas m’éterniser sur la dernière partie. Pour le moment mon objectif est d’arriver encore en forme et avant la nuit au ravito du 60 ème pour me changer, bien me ravitailler... 

De Ulldemollins à Margalef 20 km et 480 D+

Comment vous dire, je me suis rarement ennuyée en trail mais là c’était le cas. Il se passait rien ! Un sous bois, des ponts, quelques descentes un peu techniques mais rien d’autres. J’avais qu’une seule hâte en finir. J’ai commencé à douter de mon amour pour le trail. Je croise une Américaine avec qui j’échange un peu et cela me fait du bien (ici tout le monde parle espagnol... pas moi, du coup grâce à Janina je me suis sentie moins seule). Vers la fin de cette portion, je dépasse beaucoup de monde parce que je décide d’en finir et de prendre des risques sur la descente. Janina avait du mal à descendre, du coup je continue mon chemin vers le ravito seule. J’y suis après 5h45 au lieu de 7h. Mais en fait, je n’en étais pas sure. J’avais démarré une activité en salle au départ de la course et je m’en étais pas rendue compte tout de suite. Du coup, tout était biaisé sur ma montre et j’ai gaspillé beaucoup d’énergie à faire des calculs dans ma tête qui au final ne m’avançaient pas à grand chose.  Je répète les mêmes gestes bien étudiés pour ne pas perdre du temps et refroidir, je passe à la salle d’eau pour me laver les mains (une manie qui m’accompagnera à chaque ravito) et je sors mes bâtons car une montée assez sérieuse m’attend. A ce niveau Mohamed à plus de 45’ d’avance sur moi. Je repars du ravito au moment où Janina et les autres arrivent. 

De Margalef à la Bisbal 12 km et 790 D+ 

Un premier ravito léger m’attend juste à 2,5 km. C’est parti pour une montée d´environ 500 D+ sur 2,5 km. J’étais déterminée et appliquée dans l’utilisation des bâtons, je voulais gérer l’effort mais en même temps éviter de perdre du temps. J’avais ressenti des douleurs dans le dos sur la portion précédente, en m’arrêtant au ravito je m’étais tartinée de crème chauffante pour me soulager. Je ne sais pas si c’était une bonne idée mais en tout cas à ce niveau j’avais un grand coup de chaud, des picotements en plus de la douleur. Malgré tout, cette partie est très vite passée. J’étais zen, seule, je prenais du plaisir et je m’impressionnais moi même.
Je reprends goût, j’avance sans problème mais en même temps je me prépare à ce qui m’attend. Au km 42,5 nous ne serons plus qu’une poignée de coureurs. Il faudra gérer la solitude, surtout à la tombée de la nuit. Après ce point de ravitaillement, je me dirige vers un autre au km 53 dans un village, je suis toujours seule. En arrivant, je me sens un peu éreintée et d’ailleurs, je pose mes bâtons, je les oublie, je reviens les chercher puis reprends un mauvais chemin sur environ 700 m, ce qui me coûtera ma troisième place. Car, en arrivant au 60 ème km, je trouve Janina qui était là depuis 5 mn. Je me pose, prends mon sac, me change, remplis mes gourdes, recharge mon sac avec les gels et autres, mange un sandwich et m’assoie pour la première fois après 8h44 de course. Je laisse mon esprit vagabonder, envoie un message à maman et aux garçons. Mohamed a environ 1h d’avance sur moi. Je reviens voir Janina qui se faisait examiner par les podologues pour lui demander si elle voulait qu’on reparte ensemble. Je l’attends 5 mn, je rends mon sac avec les affaires changées et on ressort du ravito. 

De Cabaces à Escaladei 25 km et 1200 D+ environ répartis en 3 parties. 

La partie inutile du parcours, un ravito chaque 8km environ, énormément de changement de rythme, une course dans la retenue étant donné la fatigue qui commence à être présente puis aussi l’attente de la fameuse montée. Hafedh nous avait envoyé un message pour nous donner des détails (il était avec Aymen sur le 60km et avait donc déjà franchi la ligne d’arrivée en passant par les 25km tant redoutés), il avait dit qu’elle n’était pas si dure mais que le balisage était « limite » et certainement encore plus la nuit. Il fallait donc redoubler de vigilance et par la même occasion s’économiser pour garder une bonne dose de lucidité. Je pense que malgré tout je ne me rendais pas compte du danger, soit parce que j’étais trop positive, soit inconsciente et débile tout simplement. Quand j’arrive au ravito du km 68, il faisait encore jour et j’étais optimiste pensant arriver au km 73 (un autre ravito) à la lumière du jour mais cela ne sera pas le cas. Je redoutais énormément ce moment. Je savais pour l’avoir vécu durant les 100 km du festival des templiers, que c’est vraiment éprouvant mentalement comme moment. Même si, je savais aussi qu’au bout d’un certain temps le cerveau s’adapte à la lumière de la frontale et tout redevient quasiment naturel. (Gravir une montagne après 15h d’effort, en pleine nuit...naturel). Bref, ce moment tant redouté arrivé au 70ème km je crois, je m’arrête pour mettre ma frontale. A ce moment de la course, je suis en compagnie de Janina et de 2 hommes espagnols, les 3 me devançaient un peu. Ils se sont arrêtés pour m’attendre et pour qu’on puisse continuer ensemble un bout de chemin. Je leur en suis très reconnaissante. Je n’ai pas grand-chose à dire à propos du reste de cette portion. On dépasse pas mal de concurrents, j’ai un regain d’énergie....
Au km 85, on se pose. J’ai un peu plus d’une heure d’avance sur mes estimations, pas de nouvelles de Mohamed. Marouane qui est sur le 85 est arrivé et me donne un compte rendu très détaillé de ce qui m’attend. Une grosse montée sur 2km et 9km de crête, très mal balisé avec du vent et du brouillard. Janina s’éternise sur ravito, j’ai froid. 

De Escaladei à Moreira 12km et 800 D+

En sortant du ravito, je mets mon coupe vent (la meilleure décision que j’ai prise). On commence à monter et puis soudain, au moment où j’ai l’impression qu’on a atteint le sommet (dans le noir, c’est très difficile de voir où on en est), je n’entends plus les bruits des bâtons de Janina...tout simplement parce qu’elle était entrain de grimper...il fallait donc escalader la montagne...utiliser les cordes et ne surtout pas se retourner. Nous sommes à présent sur la crête, on va pouvoir courir un peu. Mais non...le terrain ne s’y prêtait pas du tout, il y avait un brouillard énorme et il fallait vraiment se concentrer sur le balisage. Toute notre vie était reliée à ces bandes fluo marquées Coca Cola. Ce fût lent, lent, lent...et pourtant j’avais encore de l’énergie dans les jambes mais le terrain était caillouteux. Ne pas rater les balises, ne pas tomber et aller le plus rapidement...c’était l’équation pendant plus de 3h. Nous arrivons enfin près du monsieur qui nous dira qu’on va entammer la descente (qui dure 1km) qui nous mènera vers le dernier CP à 8 km de l’arrivée. Entre temps Mohamed était arrivé au bout du trail après 16h18 d’efforts. 
La descente était casse gueule mais j’étais encore bien en jambes, je gérais merveilleusement bien. D’ailleurs, quand j’arrive à Morera, je presse Janina de repartir...je savais qu’il me restait tout au plus 1h30. 

De Morera à Cornudella 8 km et 200 de D+

A présent, je n’ai que 20mn d’avance sur mes estimations. Je veux juste les conserver et faire donc moins de 19h. Hafedh et Marouane, nous ont dit que cette partie n’était vraiment pas agréable. Mais qu’importe, je vais courir chaque portion que je pourrais pour ne pas avoir de regrets. Je pourrais me reposer une fois arrivée. Il était plus d’une heure du matin, et les garçons n’arrêtaient pas de m’envoyer des messages d’encouragement. Je suis encore Zen. Je ressentais de la fatigue musculaire mais sans souffrance. Sur cette partie, il y avait des portions de descente assez technique, Janina n’arrêtait pas de dire « I hate downhills »...pour ma part, je ne pouvais m’empêcher de comparer mon état physique du moment à celui d’il y a 2 ans sur l’endurance trail et cela me boostait mais je n’accélérais pas. On a parcouru près de la moitié de la course ensemble, on ira jusqu’au bout ensemble. 

Nous voilà finalement au village...18h45 d’effort, plus que 1 km, j’éteins ma frontale et la met dans ma main, j’enlève ma casquette, je veux une belle photo à l’arrivée... nous voyons la lumière...puis entendons un peu de bruit...elle veut accélérer, j’en fais autant...on franchit la ligne d’arrivée ensemble...Hafedh et Mohamed sont là...je vous love, Il y a quelques mois, vous m’aviez ramassé à la petite cuillère...aujourd’hui je savoure cette arrivée avec vous...pour le meilleur et pour le pire...
Chaque trail est une expérience de vie, chaque trail me grandit et me fait gagner en humilité.
La femme qui a pris le départ pour le festival des templiers était certainement inconsciente, cela m’a pris 2 années, des centaines d’heures d'entraînements, énormément de sacrifices pour oser affronter cette distance mythique de 100 km. J’ai certes progressé, j’ai gagné 3h et je suis nettement mieux classée mais rien n’est jamais acquis...
Je garde la tête froide, je continuerai à m’entraîner et à prendre soin de mon corps...en espérant que la vie continue à me donner la chance de faire ce que j’aime et à vivre ma passion...

Merci à mes coéquipiers : 

Aymen : pour tes phrases et blagues légendaires...les entraînements de cette préparation à Ennahli resteront à Jamais gravés, 
Hafedh pour ta gentillesse, ta disponibilité, ta sincérité, tu es à la fois le grand et petit frère
Marouane, j’avais déjà beaucoup d’admiration pour ta discipline et ton calme mais là je suis complètement bluffée et impressionnée...(mais la prochaine fois, tu partiras avant quand même.)
Mohamed, reconnaissance et admiration sont les 2 premiers mots qui me viennent...merci de me tirer toujours et encore vers le haut. Tu sais que rien n’aurait de sens sans toi...

Merci mon cher kiné...

Merci à mes parents...

Special thanks to Saroura...j’espère qu’un jour on partagera les sentiers ensemble...



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