J'ai grandi dans une famille où femmes et hommes ont le même statut...Je ne me suis jamais sentie inférieure à mon frère par exemple. Mais au fur et à mesure que les années passèrent et que j'ai côtoyé des personnes de différents milieux, j'ai compris que je vivais en quelque sorte dans une bulle et que être femme dans une société comme la nôtre voulait dire qu'on ne pouvait tout faire...(du moins sans être jugée) et que surtout cela impliquait qu'il fallait redoubler d'effort par rapport au "Mâle" pour avoir de l'estime, pour être entendue...à l'université, dans le monde du travail, dans la rue...
Quand j'avais commencé à courir à l'extérieur en 2009, il y avait très peu de femmes dans ce milieu, voire pas du tout. Je courais tout le temps avec des hommes mais vu mon vécu, cela ne m'a jamais dérangée...je ne me suis jamais sentie "à part". Nous étions un petit groupe et on partageait les quelques kilomètres à l'aube...Avec le recul, je pense que j'ai eu de la chance...sinon je n'aurais peut être pas accroché.
Jusqu'au jour où j'ai commencé à participer aux compétitions, à arriver avant certains hommes et le choc ultime a été le jour où j'ai décidé de participer à un marathon !
"Non mais tu as perdu la tête ? Tu crois que c'est simple un marathon ? Le marathon de Paris et puis quoi encore ?"
Mais comment vous dire ? Je suis une rebelle ! Et plus c'est compliqué et anti-conventionnel, plus j'adhère ! Tout simplement parce que je refuse d'être dans ce moule préatabli par les règles socioculturelles !
Depuis cette prise de conscience que le fait d'être runneuse et de vouloir s'essayer aux trucs d'hommes comme un marathon n'était pas apprécié dans le milieu...je n'ai fait qu'ignorer cette vague. Je passe outre le fait que même les femmes (qui ne courent pas) s'y mettent : "et donc, tu cours avec des hommes ? le matin ? dans le noir ? Et ton mari ? Il ne dit rien ?"
Euh ! Au début, mon mari m'a beaucoup encouragée mais très vite, il a cessé de le faire "indirectement"... et ne comprenait plus : les samedis soirs à la maison et pourquoi le réveil sonnait à 5h du matin ! Ni mes déplacements des dimanches pour les sorties longues...
Il y a quelques temps, une remarque d'un ami que je ne voyais pas du tout rétrograde m'a rappelée par une pensée qu'il avait eu avant de me connaitre, que j'étais une femme dans un milieu d'hommes et que peu importe ce que je ferais il y aura toujours cet air de supériorité. Heureusement pour lui, que la pratique de la course à pied lui a appris l'humilité.
Bon, j'en viens au fait : qu'est ce que ça fait de courir en Tunisie quand on est femme ?
- On se sent doublement forte et ce n'est pas moi qui le dis : braver les coups de klaxons en guise de pseudo drague, les remarques désobligeantes sur nos tenues, tenir tête aux parents, aux maris pour se faire de l'espace...C'est une sorte de militantisme en fait !
- Quand on est maman c'est encore plus compliqué : gérer les allaitements, préparer les enfants le matin, ne pas culpabiliser parce qu'on prend du temps pour soi alors que dans le modèle tunisien classique tu es juste censée t'occuper des enfants et de la maison...
- On apprend à être dans une bulle : oui je cours et c'est cool, je prends soin de mon corps et je vieillis mieux et non je ne passe pas à côté de ma vie parce que je ne fais pas la grâce matinée et que plusieurs soirs par semaine je me couche à 21h alors que les femmes de mon âge et bien elles "profitent de la vie" en soirée et dans les salons esthétiques.
- Si de surcroît, on s'embarque dans les marathons et les trails alors on est regardé de travers : mais pour qui elle se prend celle là et si elle s'occupait de ses enfants ça n'aurait pas été mieux...bein c'est compliqué à faire comprendre mais je fais les deux et je me fais aider et mes enfants seront fiers de moi !
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